Histoire de verre

Auteur.rice :

Lisa Millet

Date de publication :

18/9/2025

Histoires d'Artisans

Le verre fait partie de notre quotidien : vitres, bouteilles, écrans, objets décoratifs. Derrière cette matière transparente se cache une histoire millénaire, faite de découvertes, de migrations d’artisans et de secrets jalousement gardés. Voici comment le verre est devenu un matériau universel.

Aux origines : un matériau naturel

Bien avant que les hommes ne sachent le fabriquer, le verre existait déjà dans la nature. L’obsidienne, un verre volcanique noir, était taillée dès la Préhistoire pour fabriquer des outils et des armes. On utilisait aussi des tectites, formées par la chute de météorites, ou encore des fulgurites, créées par la foudre frappant le sable.

 Les premiers verres fabriqués

C’est au Proche-Orient, il y a plus de 5 000 ans, que les hommes commencent à produire du verre artificiel. Les potiers recouvrent leurs céramiques d’une glaçure composée de silice, de soude et de potasse. Au départ, il s’agit d’un enduit opaque, de couleur verte ou bleue, qui imite les pierres précieuses.

Progressivement, les techniques s’affinent. Grâce à l’invention des premiers fours capables d’atteindre de hautes températures, le verre devient translucide. On fabrique alors des perles, des amulettes, des bijoux et de petits récipients. Ces objets restent rares et précieux, réservés à une élite.

En Égypte, à partir du XVème siècle avant notre ère, on maîtrise même l’émaillage : une poudre de verre colorée est appliquée sur des poteries, créant des décors brillants et colorés. Ces innovations ouvrent la voie à une véritable culture du verre dans tout le bassin méditerranéen.

Murano, l’île des verriers

Au Moyen Âge, Venise devient un centre majeur du verre. Pour éviter les incendies dans la ville et garder un œil sur les secrets de fabrication, les autorités regroupent les fours sur l’île de Murano. Les artisans y développent des techniques qui font la renommée de Venise dans toute l’Europe. On parle alors d’un véritable « secret d’État » : il était interdit aux verriers de quitter l’île sous peine de sanctions.

À la même époque, dans la région d’Altare en Italie, l’approche est différente : les verriers sont autorisés à voyager, à condition de revenir transmettre leurs savoir-faire. Ces déplacements participent à la diffusion des techniques dans toute l’Europe.

La France et l’ambition de Colbert

Au XVIIème siècle, la France veut rivaliser avec Venise. Le ministre Colbert fonde la Manufacture de glaces, qui deviendra plus tard Saint‑Gobain. L’idée est simple : produire localement pour ne plus dépendre des importations. Des verriers vénitiens sont attirés à Paris, mais les secrets ne se livrent pas facilement. Malgré cela, la France parvient à développer sa propre production.

C’est aussi l’époque des « gentilshommes verriers », des familles nobles qui obtiennent le privilège de pratiquer ce métier manuel sans perdre leur statut. Un phénomène typiquement français.

Le cristal au plomb : une révolution

Au XVe siècle, Venise impose le cristallo, un verre d’une transparence inédite qui imite le cristal de roche.

En 1674, l’Anglais George Ravenscroft invente le cristal au plomb (flint glass), qui bouleverse l’esthétique du verre. En ajoutant de l’oxyde de plomb, il obtient une matière plus lourde, plus dense et surtout plus réfringente : la lumière s’y décompose mieux, offrant un éclat comparable à celui des pierres précieuses. 

Ce verre se taille et se grave avec une finesse inédite, donnant naissance à des verres et des pendeloques de lustres aux reflets éclatants. Là où le cristallo privilégiait la pureté, le cristal au plomb mise sur la brillance.

Très vite, la mode gagne l’Europe : la Bohême s’y spécialise et, en France, des cristalleries comme Baccarat (1765) et Saint-Louis s’imposent. Le cristal devient alors un objet de luxe et un enjeu économique majeur.

Cet article a été réalisé bénévolement pour valoriser l'artisanat d'art français.
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Du bois au charbon : l’industrialisation

Jusqu’au XIXe siècle, les verreries fonctionnent au bois, ce qui entraîne déforestation et tensions avec les communautés locales. 

L’industrialisation change la donne : les ateliers s’installent désormais près des bassins charbonniers, où l’énergie fossile offre une chaleur plus stable et continue. Cette transition permet d’alimenter des fours plus grands, d’augmenter la cadence et de réduire les coûts. La production de bouteilles, de vitres et de glaces explose, transformant le verre en produit de masse. 

Mais cette intensification a aussi des conséquences sociales : en 1895, la grève des verriers de Carmaux, soutenue par Jean Jaurès, débouche sur la création de la Verrerie ouvrière d’Albi, symbole d’une industrie à la fois innovante et conflictuelle.

Un métier exigeant

La fabrication du verre impose des rythmes durs : les ouvriers travaillent par équipes de six heures, car les fours ne peuvent jamais être éteints.

La chaleur intense oblige à des gestes rapides et coordonnés, car une pièce refroidit en quelques secondes. Le savoir-faire est collectif, chaque artisan occupant une place précise autour du four. Ces gestes, transmis de génération en génération, sont aujourd’hui reconnus comme faisant partie du Liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité (UNESCO, 2023).

Ce métier est aussi marqué par des risques sanitaires. Les ouvriers des glaceries, exposés aux vapeurs de mercure, souffrent de saturnisme. Cette réalité rappelle que derrière l’éclat du verre se cache une activité éprouvante, qui a façonné des communautés soudées autour de la maîtrise du feu.

La quête des couleurs

Depuis l’Antiquité, les verriers cherchent à enrichir la palette du verre. Les oxydes métalliques permettent de teinter la matière, mais la plus prestigieuse découverte reste le « rouge rubis », obtenu grâce à des particules d’or colloïdal.

À partir du XVIIe siècle, des savants comme Johann Kunckel ou Andreas Cassius perfectionnent ces procédés. Entre science et alchimie, la quête des couleurs illustre la frontière poreuse entre artisanat, expérimentation et recherche savante.

Les ateliers européens rivalisent d’ingéniosité pour séduire une clientèle avide de nouveauté, donnant au verre une dimension presque magique, à mi‑chemin entre objet d’art et prouesse technique.

Aujourd’hui

Le verre est omniprésent dans nos vies modernes : vitrages architecturaux, lunettes, écrans, fibre optique. Les labels comme Murano cherchent à protéger des savoir-faire menacés par la mondialisation et la production de masse. Entre artisanat d’art et industrie, la question de l’authenticité demeure centrale. Dans le même temps, de nouvelles recherches transforment la matière : verres photochromes, électrochromes, pare-brise intelligent. La filière oscille entre héritage historique et innovations technologiques. Le verre reste une matière stratégique, autant pour son rôle culturel que pour ses applications contemporaines.